Étude d’ergonomie Nextcloud : plongée dans une forme de contribution

Synthèse

En 2022 nous avons lancé une étude sur l’ergonomie des partages de Nextcloud. Nous avons choisi de la réaliser sur l’interface des partages et analysant les réactions de 12 utilisateurs et utilisatrices sur 11 actions. Ces travaux nous ont permis de récolter des données de terrain révélant des points de difficulté dans l’usage de Nextcloud, notamment sur l’affichage des boutons et de fonctions. Certaines corrections ont, entre-temps, été faites par l’éditeur (lancées sans lien avec des travaux) et par nous, via des contributions au logiciel. Nous espérons pouvoir continuer à contribuer au logiciel libre en travaillant sur les problématiques d’interface.

Pourquoi une telle étude ?

En fin d’année 2022, nous avions lancé une étude sur l’ergonomie des partages dans Nextcloud dont nous souhaitons ici présenter les objectifs, déroulé et résultats.

Le logiciel libre a généralement la réputation de ne pas tenir compte des utilisateurs lambda et d’être développé par des passionnés de la technique pure plutôt que par des experts de l’expérience utilisateur. Si cela peut ternir quelque peu son image, cet état de fait a aussi pour effet plus direct d’empêcher l’adoption par un large public des solutions à code ouvert. Le logiciel libre a donc intérêt à (faire) travailler sur l’ergonomie comme le démontrent d’ailleurs les travaux de Framasoft qui intègrent l’expérience utilisateur (UX) dans leurs activités et avaient aussi constaté quelques impérities dans l’interface de Nextcloud, notamment sur les partages.

D’un autre côté, si globalement, nos contributions sont assez orientées sur le fonctionnel et le technique, étant donné que ce sont les périmètres pour lesquels nos échanges avec les clients et l’écosystème nous rendent plus facilement saillants, nous avions déjà travaillé sur l’ergonomie d’outils à code ouvert et la prenons en compte dans le développement de nos logiciels, comme Workspace. Souhaitant renforcer notre contribution dans ce champ, pour lequel le besoin nous apparaît important, nous avions donc décidé de relancer des travaux sur l’ergonomie de Nextcloud.

Enfin, nous souhaitions produire des résultats qui fussent basés sur des retours empiriques, afin de sortir de nos propres biais d’expérience et habitudes. L’intérêt était certes de découvrir ces données, mais aussi de les partager avec la communauté Nextcloud et l’entreprise éditrice du logiciel.

C’est dans cet esprit que nous avons décidé de faire une étude sur la base de tests fonctionnels qui nous semblaient nécessaires pour comprendre comment les utilisateurs et utilisatrices interagissaient avec le produit Nextcloud et identifier les problèmes qu’ils ou elles rencontraient.

Ces tests ont pour vertu principale de déterminer facilement les difficultés rencontrées et d’en identifier les causes. Enfin, sur la base de ces constatations, il devient possible d’identifier comment les résoudre pour améliorer le produit Nextcloud.

Démarche : un travail de terrain avec des utilisateurs de Nextcloud

Nous avons choisi de focaliser les tests uniquement sur les partages dans les fichiers Nextcloud. En effet, nous avions constaté par nos usages – comme d’autres – des points d’achoppement dans l’interface, et souhaitions évaluer leur réalité pour les utilisateurs et utilisatrices. Ce choix a été aussi renforcé par le fait que le volet partage est une fonction clé du logiciel.

Population ciblée

Nous souhaitions avoir des utilisateurs non techniques de Nextcloud, avec différents niveaux de maîtrise de l’outil. Afin d’avoir ces profils, nous avons fait appel à plusieurs de nos clients utilisant le logiciel collaboratif et capables de suggérer des volontaires pour participer aux tests utilisateurs. Les clients sollicités étaient très intéressés par la démarche et enthousiastes à l’idée de contribuer au projet.

À la fin des propositions de la clientèle, nous avions un total de 12 personnes (non – informaticiennes), s’étant auto évaluées sur une échelle de niveau allant de débutant à avancé sur Nextcloud.

Scénario choisi

La première étape dans l’organisation de ces tests était l’écriture d’un scénario décrivant les actions à réaliser par l’utilisateur ou l’utilisatrice avec les résultats attendus.

11 actions ont été définies. Il s’agit des suivantes :

1. partager le dossier A à Robert Durand (qui a déjà un compte sur la plateforme) ;
2. définir des droits de lecture seule sur ce dossier ;
3. retrouver tous les fichiers qui ont été partagés avec vous ;
4. partager le fichier A du dossier D à l’utilisateur externe :  ;
5. définir une date d’expiration du partage en question à 15 jours ;
6. proposer une autre méthode pour effectuer ce partage ;
7. partager le dossier C au groupe DSI ;
8. sur ce dossier, autoriser le repartage ;
9. supprimer le partage du dossier A à Robert Durand ;
10. partager le fichier B du dossier E à l’utilisateur externe « Thibaud Guillet » avec l’adresse en lui créant un compte invité ;
11. Partager le dossier F à l’utilisateur externe  ;

Modalité d’exécution

Les tests devaient se dérouler en visioconférence en duo entre l’utilisateur ou l’utilisatrice individuel·le et l’ergonome. Ils devaient s’effectuer sur une plateforme Nextcloud en version 25 (la dernière disponible à l’époque). La session de travail était enregistrée pour pouvoir être visionnée autant de fois que nécessaire et être analysée a posteriori.

Les instructions du scénario étaient données à l’utilisateur ou l’utilisatrice et ses actions étaient observables via le partage d’écran. L’accord de la personne était demandé avant de lancer l’enregistrement.

L’utilisateur ou l’utilisatrice est encouragé·e à s’exprimer à voix haute et à donner autant que possible des critiques, surtout négatives, sur n’importe quel point jugé intéressant (difficultés à trouver les éléments, manque de clarté de l’interface, etc). Il ou elle est aussi rassuré·e sur le fait que le test n’a pas vocation à évaluer leurs compétences, mais à analyser l’application. Enfin, il est précisé qu’il n’y a pas de mauvaise réponse ou de question bête.

Pour rester le plus neutre possible et garder un œil de pure observation, l’ergonome ne répondait à aucune question durant le test.

Ces conditions étaient essentielles pour atteindre l’objectif expliqué plus haut.

Réalisation des tests

Nous avons réalisé les 12 tests utilisateurs. À la suite de cette activité, nous nous sommes basés sur le visionnage des enregistrements pour prendre des notes sur le déroulé général et l’exécution des scénarios pour évaluer leur bonne ou mauvaise réalisation. Une fois cela fait, nous pouvions analyser les résultats et obtenir des données factuelles.

Quels résultats ?

Présentation des constats

Problèmes principaux

Suite aux analyses, trois problèmes majeurs partagés par la majorité des utilisateurs émergent.

• Premièrement, lorsqu’il est demandé de trouver la liste de tous les documents qui ont été partagés avec eux, la plupart des personnes trouvent facilement la section « Partages » dans le panneau de gauche. Cependant, 10 sur les 12 personnes ne voient pas le menu déroulant. Celui-ci apparaît seulement au survol de la souris et remplace l’icône de partage, ce qui le rend invisible à la plupart des utilisateurs n’ayant pas connaissance de sa position.
• Lorsqu’on leur demande de repartager un document qui a été partagé avec eux, 11 sur 12 des utilisateurs (même les plus avancés) sont perturbé·e·s par l’absence de l’icône de partage, ce qui les fait hésiter. Plus précisément, 7 sur 12 d’entre eux/elles commencent par cliquer sur les options du document, avant de cliquer sur l’avatar de l’utilisateur qui leur a partagé le document. Le reste des utilisateurs (5 sur 12) contourne le problème en allant directement dans les informations du document pour ouvrir le panneau droit et accéder aux options de partage (un clic supplémentaire). L’absence de cette icône crée donc de la confusion pour les utilisateurs.
• Enfin, l’option « invité » pour le partage d’un document est compliquée à trouver, car elle nécessite de scroller jusqu’en bas des options de partage pour être visible. 7 sur 12 des utilisateurs ont besoin de temps avant d’accéder à l’option, ou bien ne la trouvent simplement pas et abandonnent. 9 d’entre eux n’avaient jamais entendu parler de l’option et 7 ont tenté de trouver après avoir partagé le document.

Autres problèmes

• 6 sur 12 des utilisateurs ne savaient pas qu’il était possible de partager un document directement avec une adresse email. La plupart d’entre eux/elles a tendance à créer un lien de partage et l’envoyer par mail par la suite.
• 4 sur 12 des utilisateurs pensent qu’il est nécessaire de sélectionner (cocher) un document avant de le partager.
• 4 sur 12 des utilisateurs sont perturbés par l’absence d’une option « lecture seule » pour les partages (par exemple, ils ne savent pas s’ils doivent garder l’option « autoriser à télécharger » ou non).
• 3 sur 12 des utilisateurs sont perturbés par l’absence d’une réaction/validation après une action.
• 2 sur 12 des utilisateurs ne réalisent pas que plusieurs types de partage peuvent être faits à partir de la barre de recherche dans les partages du panneau droit.
• Certains utilisateurs cherchent dans d’autres applications Nextcloud lorsqu’on leur demande d’effectuer un autre type de partage que celui dont ils ont l’habitude.

Des propositions et des contributions immédiates

Suite à ces tests, nous avons réalisé deux maquettes proposant des solutions à deux des problèmes majeurs identifiés.

La première vise à régler le problème du menu déroulant de l’onglet partage du panneau de gauche en ajoutant un bouton déroulant permanent à la droite de l’onglet pour que celui-ci soit toujours visible.

La deuxième propose que l’icône de partage de chaque document soit apparente et fixe, peu importe le type de partage effectué ce qui est plus cohérent et moins déroutant pour l’utilisateur.

Nextcloud a intégré certains de ces correctifs, même s’ils avaient été lancés indépendamment de l’étude en question. En particulier, l’affichage du bouton de partage est désormais affiché en permanence depuis la version 26. Par ailleurs, certaines autres corrections ont pu être faites par nos équipes et ont été intégrées à Nextcloud.

Conclusion : projection

Cette première étude a permis d’avoir une observation et des données de terrain sur les comportements des personnes utilisant Nextcloud. Ces résultats mettent en exergue des faiblesses de l’interface qui est en évolution perpétuelle. Elle montre surtout que l’ergonomie est une dimension clé pour un logiciel, puisqu’une mauvaise interface peut ralentir les utilisateurs, voire empêcher l’utilisation du plein potentiel de l’outil.

Nous restons ouverts à la poursuite de ce genre de travaux comme contribution à un pan parfois peu traité du logiciel libre. Si vous êtes intéressé par ce genre d’étude ou sur la contribution à d’autres outils collaboratifs libres, n’hésitez pas à nous contacter.